Le blason de la chambre de rhétorique De witte angieren de Haarlem
Privilèges octroyés par Jacques de Croy à la Chambre de Rhétorique d'Enghien
Poème sous forme de rébus sur un blason, 1618
Les rhétoriciens, vers 1655, par Jan Steen
Un mouvement culturel à Enghien à la fin du Moyen-Âge :
la Chambre de Rhétorique de Sainte-Anne
Thomas Elleboudt
Voir aussi : ANNALES DU CERCLE ARCHEOLOGIQUE D'ENGHIEN, T. XI, 1958-59, pp. 320-329.
Sainte-Anne vécut au Ier siècle. Elle est la mère de la Vierge Marie et la grand-mère de Jésus Christ. Elle est fêtée le 26 juillet. Elle est la patronne d'une dizaine de chambres de nos régions. Elle est la sainte la plus représentée après la Vierge et la sainte Croix.
La réforme et la contre-réforme du XVIe siècle furent fatales à bon nombre de chambres de rhétoriques. Dans la plupart des cas, les confrères jouaient des pièces religieuses, en particulier des passages de la bible. La plupart de ces sociétés furent donc censurées pour des raisons religieuses.
Plusieurs membres de la chambre étaient calvinistes. Suite à des textes trop critiques, la chambre fut interdite de représentation dans la ville. Elle ne fut, cependant, jamais fermée.
De nos jours, la période médiévale est souvent perçue comme une époque sombre et dépourvue de culture. Or, les arts et les lettres faisaient partie intégrante de cette société.
En effet, au moyen-âge, il n'était pas anodin de croiser des troupes de théâtre, des compagnies de poètes ou encore des récits publics d'écrivains.
Ces activités constituèrent généralement l'apanage de l'élite ou d'une population aisée.

Ill. 1: Rhétoriciens à une fenêtre, Jan Steen, XVIe
Néanmoins, les bourgeois et les citadins participèrent également au développement culturel de leur région. À l'instar des confréries pieuses et militaires, certains habitants de nos cités se groupèrent dans des sociétés dédiées à la culture appelées les chambres de rhétorique. Ce type de société s'est développée à partir des XVe et XVIe siècles en Flandre où, contrairement au reste des Pays-Bas, elles y connurent un remarquable essor. Ces chambres avaient pour mission de promouvoir les arts et lettres à travers les villes et les régions. Elles étaient principalement constituées de bourgeois s'intéressant à certains arts tels que la poésie, la littérature ou bien encore le théâtre. Les bourgeois de la ville d'Enghien, de par leur proximité avec leurs voisins flamands, participèrent activement à ce mouvement et constituèrent une chamber de réthorique consacrée à sainte-Anne (1).
Concrètement, les rhétoriciens se réunissaient afin de composer des poèmes, déclamer des vers, créer et organiser des pièces théâtrales ainsi que des séances d'improvisation, proposer des débats, écrire des chants lyriques, philosopher ou bien encore réaliser des traductions de pièces classiques.
La création de la chambre de rhétorique d'Enghien remonte à une origine très ancienne, probablement au début du XVe siècle. Malheureusement, la formation de cette confrérie reste floue, car les sources relatives à la chambre de rhétorique de Sainte-Anne ont disparu dans le grand incendie qui ravagea la ville d'Enghien en 1497. Contrairement à de nombreuses chambres flamandes, l'association enghiennoise survécut aux temps modernes. Elle connut quelques désagréments lors des guerres de religion, mais ne fut jamais suspendue (2). La chambre de Sainte-Anne était encore très active dans le milieu de XVIIIe siècle avant que le Duc D'Arenberg lui retire l'ensemble de ses privilèges en 1752. Cet acte marqua le déclin de la confrérie (3). Celle-ci survécut encore à la Révolution française, mais disparut définitivement lors des premières années de la monarchie belge.
Comme le veut la tradition dans les chambres du nord du pays, les rhétoriciens enghiennois placèrent leur institution sous le patronage de sainte Anne trinitaire, la mère de la Vierge Marie. La sainte avait pour réputation de soutenir les artistes en manque d'inspiration grâce à ses liens avec la trinité mariale et le saint-Esprit. De plus, l'attribut de sainte Anne était un livre (une bible) qui était également l'un des symboles des rhétoriciens.

Ill. 2: Blason de la chambre de rhétorique « Den Boeck » de Bruxelles, portant la devise "Om beeters wille".
La chambre de rhétorique de Sainte-Anne jouissait d'une excellente réputation dans le pays. Comme les confréries militaires, les chambres participaient à de nombreux tournois dans les contrées voisines. Lors de ces rencontres, elles affrontaient les rhétoriciens des autres villes dans des joutes verbales. Enfin, les rhétoriciens jouaient régulièrement des pièces de théâtre en public. Leurs représentations se donnaient sur la Grand-Place ou dans leurs locaux situés actuellement à la Rue d'Herinnes. De nos jours, ce local a fait place au bâtiment de la justice de paix. Par la suite, les pièces dramatiques se jouèrent à l'étage de la halle aux blés.
Outre la dimension culturelle, les chambres de rhétorique jouaient un rôle moral au sein de la cité. En effet, il semble que l'Eglise, et plus tard les divers courants protestants, ont fréquemment utilisé les chambres de rhétorique afin de diffuser des messages pieux et moraux. Il n'était pas rare de voir des représentations ayant pour thème des passages bibliques. Les confrères rhétoriciens jouaient également un rôle politique dans la ville. Ces bourgeois, à travers leurs pièces de théâtre, disposaient d'une réelle influence sur la population. Le seigneur et les autorités communales ont bien compris l'avantage qu'ils pouvaient tirer de ce type d'institution. D'ailleurs, il est intéressant de constater que bon nombre de dirigeants multipliaient les dons à la chambre de rhétorique afin de s'attirer la faveur de la confrérie ce qui permet aux autorités de contrôler l'institution et de l'orienter politiquement.
À la tête de la chambre de rhétorique de Sainte-Anne se trouvait une dyarchie composée d'un doyen et d'un prince. Le premier disposait de prérogatives administratives tandis que le second occupait une fonction «artistique». Le prince est le représentant par excellence de la chambre lors des cérémonies officielles et des évènements externes.

Ill. 3: Blason de la confrérie Sainte-Anne.
Le doyen était élu chaque année le jour de la Sainte-Anne par la majorité des confrères rhétoriciens.
Le même jour était organisé ce que nous appellerions aujourd'hui une assemblée générale. En effet, les compagnons se réunissaient afin de faire le bilan de l'année écoulée.
Lors de cette réunion, le doyen sortant était tenu de rendre des comptes sur sa gestion annuelle. Il s'agissait essentiellement de justifier les comptes et l'état financier de la chambre.
Quant au prince, il était désigné parmi les confrères lors d'un concours et devait ensuite prêter serment dans les mains du bailli. Il avait pour tâche de définir la ligne "artistique" de la chambre. Dans les faits, il sélectionnait les pièces de théâtre que la chambre présentait au public et proposait des sujets pour les débats et les poèmes. Le prince avait également des prérogatives morales. Effectivement Il devait veiller à ce que les productions artistiques ne soient pas contraires à la religion catholique. Enfin, le prince inaugurait les divers tournois et définissait les prix attribués aux gagnants de ces joutes verbales. Dans la confrérie d' Enghien, le prince était élu, probablement le même jour que le doyen, pour un an. Cette fonction était particulièrement prestigieuse et offrait au titulaire de cette charge prestige et honneur.
Voilà une société bien méconnue de nos contemporains qui a animé la culture de notre cité pendant plusieurs décennies. Cette thématique, passionnante, mériterait certainement un traitement plus approfondi et pourrait être le sujet d'un article au sein de nos annales locales.